dimanche 11 novembre 2018

Les Canadas volontaires au combat


Les militaires envoyés par le Canada pour livrer combat en Europe lors de la Première guerre mondiale aussi bien que lors de la Deuxième étaient volontaires, dans leur écrasante majorité. Cela peut sembler normal, et pourtant, dans les années 1960 et 1970, un groupe d'humoristes québécois jouait un sketch dont voici un court extrait:
L'ancien combattant canadien-français: Lors de la guerre de 39, je me suis battu...
L'interviewer: ....
L'ancien combattant canadien-français: ... mais j'ai été obligé d'y aller quand même.
Il y a comme un sentiment de culpabilité collective qui flottait vers 1970 et flotte encore dans l'air au Canada français lorsqu'on parle de l'effort de guerre masculin en 1914-1918 et en 1939-1945.

14-18: un exemple de propagande
Il semble que ce soit en partie parce qu'il y eut à Québec en mars et avril 1918 des émeutes contre les méthodes employées pour l'enregistrement obligatoire des hommes et l'incorporation dans les forces armées de ceux qui n'avaient pas l'excuse légitime d'être soutien de famille ou d'être médicalement incapables de servir. Ce processus était connu du peuple sous le nom de conscription.

À partir de 1914, le gouvernement fédéral canadien s'autorisait à dépenser plus que d'habitude et cela a sensiblement stimulé l'économie. Ce qui existait de chômage disparut et les bons salaires dans le secteur privé nuisaient à l'enrôlement volontaire dès 1915. Comme la consommation d'hommes sur le front était intense, le Parlement se décida à voter la conscription en juillet 1917.

De nouveau, durant la Deuxième guerre mondiale, pour la même raison, le plein emploi fut atteint. En avril 1942, le gouvernement d'Ottawa tint un référendum pour se libérer de promesses répétées en 1939 de ne pas recourir à la conscription pour regarnir l'effectif des Forces armées. L'électorat québécois répondit massivement non alors que le Canada anglais répondait oui. Le gouvernement fédéral attendit jusqu'en mars 1945 avant d'appliquer la conscription.

Pour autant, il serait injuste de laisser entendre que les Canadiens français ont été plus nombreux à déserter qu'à se porter volontaire, et surtout pour parler de la Deuxième guerre mondiale. Des estimations sérieuses d'historiens portent à croire que la participation des Canadiens français à la composition du contingent canadien en 1939-1945 (environ 20 % des effectifs) ne fut pas dramatiquement inférieure à leur nombre en proportion de l'ensemble de la population canadienne (25 %).

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Faire la guerre avec des armées de conscrits n'est pas sans risque, ne l'oublions pas. Les mutineries réprimées dans les armées, notamment dans l'armée française, durant la Première guerre mondiale, ont marqué les consciences. En 1914, il y a eu aussi parfois des fraternisations entre soldats alliés et soldats allemands, parfois installés dans leurs tranchées à portée de voix les uns des autres. Pourquoi fallait-il que des ouvriers des villes et des paysans dans les deux camps aillent se faire tuer pour leurs aristocrates et bourgeois respectifs?

L'étonnant, c'est plutôt que le recrutement et la discipline aient si remarquablement marché lors de la Grande guerre.

Il est ahurissant, par exemple, de penser qu'un grand nombre des hommes en provenance du Royaume-Uni et du Canada qui débarquèrent en France en 1914, et qu'on avait envoyé se battre au nom du roi, n'avaient pas le droit de vote, même parmi ceux qui avaient 21 ans ou plus.

La Première guerre mondiale sera l'occasion d'un élargissement du droit de vote au Canada, et pas seulement au profit des femmes.

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Quant à savoir pourquoi le recrutement de volontaires durant la guerre de 1914-1918 semble avoir moins bien fonctionné au Canada français qu'au Canada anglais, c'est une question complexe mais pas pour autant mystérieuse.

Certaines perspectives historiques sont utiles. On en trouve un aperçu dans un article du journaliste Christian Rioux paru dans Le Devoir en août 2014 (à l'occasion du centenaire du déclenchement de la Première guerre mondiale).

Quand vous y lirez les propos de l'historienne Béatrice Richard au sujet de la forte proportion de volontaires canadiens-anglais qui étaient natifs du Royaume-Uni, revenez jeter un coup d’œil sur l'affiche de recrutement ci-contre. Une image qui vaut mille mots.


Les États-Unis dans la guerre de 1914-1918

Sur le front, les Sammies (des États-Unis) ne sont arrivés qu'assez tard en renfort des Poilus (français) et des Tommies (britanniques), ce qui ne veut pas dire que le conflit en Europe n'a pas ému le public américain bien avant que le président Wilson persuade en avril 1917 le Congrès d'envoyer des troupes au secours du Royaume-Uni et de la France.

Durant la guerre, les commandes de blé de la France à l'étranger augmentèrent. Pour éviter que cela renchérisse le prix du blé sur le marché américain, il fallait comprimer la demande des ménages américains. Le gouvernement américain a tenté de passer la consigne aux consommateurs américains. (Est-ce que cela a eu un effet? L'auteur du présent texte ne saurait le dire.)

Les États-Unis auraient pu rester neutres. N'oublions pas que les Américains avec une ascendance allemande étaient nombreux, et plus nombreux que ceux qui avaient une ascendance française.

Mais des Français, dont le célèbre général Lafayette, avaient participé aux côtés des patriotes américains à la guerre d'indépendance des États-Unis (1775-1781). La propagande et la presse durant la Grande guerre s'employèrent à rappeler la longue amitié des peuples américain et français, comme sur l'affiche ci-contre, où la statue de la Liberté, offerte par la France aux États-Unis pour célébrer le centenaire de leur Déclaration d'indépendance (bien que la statue fut inaugurée en 1886), apparaît entre le soldat américain et le soldat français.

Pour le reste, il est vraisemblable que les Américains aient ressenti davantage de connivence avec les Britanniques (malgré deux guerres entre les États-Unis et l'Empire britannique) qu'avec les Allemands et les Austro-Hongrois.

Une question de langue commune, vous croyez? Faites vos propres recherches.

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La sélection d'illustrations du présent texte et du précédent ne fournit pas nécessairement un échantillon représentatif de tout ce qu'on peut trouver sur la toile en 2018 et qui fut utilisé durant la Première guerre mondiale.

samedi 10 novembre 2018

Le plus dur coup à la Francophonie de l'histoire moderne

- une réflexion du blogueur de la Société nationale de l'Estrie -

La Première guerre mondiale a officiellement pris fin à 11 heures le 11e jour du onzième mois de 1918.

La guerre de 1914-1918, qui doit son nom de guerre mondiale aux tragédies qu'elle a causées sur plusieurs continents, a frappé particulièrement fort en France, et en a sévèrement amputé la population, au sens propre et au sens figuré. Deux guerres mondiales ont porté un dur coup à la démographie française, et profondément amoché la confiance en elle-même d'une nation aussi imparfaite que les autres et que nous n'avons jamais cessé d'aimer.


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La guerre de 14-18 a tué 1,4 million de soldats français, c’est-à-dire plus de soldats que parmi les Alliés britanniques, canadiens, terre-neuviens, australiens, néo-zélandais, et sud-africains, tous ensemble. Et on pourrait encore ajouter les pertes américaines (des États-Unis) et indiennes (des Indes), sans changer le constat.
(Ce 1,4 million de soldats français tués durant la Première guerre mondiale inclut plus de sept dizaines de milliers de soldats recrutés en Indochine, au Maghreb, et en Afrique noire, particulièrement au Sénégal, et morts pour la France, souvent loin du soleil.)

Si on ajoute aux hommes en uniformes de la Grande guerre la population civile française tuée lors de ce même conflit, on avoisine les 1,7 million de décès, ce qui est davantage que le nombre des pertes militaires et civiles parmi les Alliés britanniques, canadiens, terre-neuviens, australiens, néo-zélandais, sud-africains, indiens et américains. (Environ 60 000 Canadiens furent tués.)


Même mondiales, les guerres ont une géographie. Il y a des géographies plus malchanceuses que d'autres.

1,7 million de personnes tuées en 1914-1918 équivaut au funeste bilan des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, deux fois et demi par semaine pendant 223 semaines. Dans une France bien moins populeuse. Avant l'invention de la télévision.

La Première guerre mondiale a fait un carnage encore plus grand dans l'Empire turc ou en Autriche-Hongrie ou en Russie, ainsi que chez les Allemands, que du côté français ou britannique. Compte tenu des 39,6 millions de Français en 1914, la France a cependant été dans le camp des Alliés victorieux la puissance qui a été le plus mutilée dans sa démographie, suivie par la Grèce et l'Italie. Seules la Serbie et la Roumanie ont payé un tribut de sang encore plus lourd que la France pour leur participation à la victoire: respectivement 17 % et 8 % de leur population a péri. Dans le camp des vaincus, les pertes humaines furent proportionnellement moindres qu'en France, dans les cas de l'Allemagne et de l'Autrice-Hongrie, et plus graves, dans le cas de l'Empire turc, où une famine a contribué à l'anéantissement de 13 % de la population. En moins de 4 ans et demi, un grand total de plus de 18 millions d'êtres humains furent engloutis dans cette guerre mondiale.

Chacun sait aussi que les jeunes hommes morts au combat ne font pas de bébés non plus, de sorte que l’effet a un long contrecoup: le silence des berceaux.

Aux pertes humaines, il faut ajouter les destructions des capacités productives (routes et terres agricoles semées de cratères et d'imprévisibles explosifs, bâtiments et mines de charbon en ruines, canaux et chemins de fer coupés, etc), des dommages beaucoup plus sérieux en France et en Belgique qu’en Allemagne, notamment.

Et ajouter la ruine de plus d’un million d’épargnants français durant l'après-guerre. Car la Russie d’avant 1914 avait joui de capitaux français pour amorcer son industrialisation, un peu comme le Canada avait profité de capitaux britanniques pour le développement de ses chemins de fer. L’État russe issu de la Révolution bolchévique n’a pas seulement cessé de combattre l'Allemagne à l’automne 1917, il a cessé d’honorer les engagements financiers du gouvernement russe vis-à-vis de l’étranger.

La France a aussi dû ajouter à sa peine ses 4,2 millions de soldats blessés qui ont survécu après l'armistice du 11 novembre 1918. Plus d'un million d'hommes sont restés partiellement ou totalement invalides pendant plus de deux décennies.
 
Dans les années 1920, les anciens combattants des armées victorieuses durent également endurer qu’un nommé Adolf Hitler, au mépris de la vérité historique sur les opérations militaires, s'emploie à faire croire que l’armée, l'aviation et la marine allemandes ne perdaient pas la guerre à l’automne 1918, mais avaient été « trahies » par les politiciens sociaux-démocrates et républicains de l’Allemagne, mauvais négociateurs de la paix.

Comme le nouvel Empire allemand l'avait fait à la France en 1870 et comme l'Union soviétique le fera aux pays d'Europe centrale et orientale en 1945, les Alliés français, britanniques, belges et italiens imposèrent des réparations financières aux vaincus. On a beaucoup parlé des difficultés économiques qu'éprouva l'Allemagne pendant les années où elle tentait de les payer. Les années d'après la « Der des der » furent cependant loin d'être prospères, dans l'ensemble de l'Europe. Même les États-Unis n'ont connu que quelques « années folles », réservées à une minorité. Endeuillés, les vainqueurs se mirent à parler de l'avant-guerre comme de « la Belle époque ».

Les traités de paix écrits à Versailles en 1919 redessinèrent la carte du monde, en particulier l'Europe. La Russie, devenue l'Union soviétique, inspirait dans les classes dominantes de l'Occident davantage de préventions et de politiques que l'Allemagne, même après l'installation d'Hitler à la chancellerie à Berlin en 1933. Pour un temps.

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On comprend qu'en se souvenant avant nous du carnage de 14-18, les Français, les Britanniques et les Canadiens ont pu voir arriver avec angoisse ce qui allait être la Deuxième guerre mondiale, d’où les foules enthousiastes venues acclamer le premier ministre Daladier à l'aéroport de Paris aux lendemains de la très provisoire paix de Munich en septembre 1938. En Grande-Bretagne, le premier ministre Chamberlain était lui aussi applaudi. Au Canada, le gouvernement Mackenzie King préconisait aussi l' « apaisement » face à Hitler.


Les six semaines de la bataille de France en mai et juin 1940 ont tué les Français à un rythme encore plus rapide que six semaines moyennes de la Première guerre mondiale. Plusieurs villes du nord du pays, en attendant celles du sud de l'Angleterre quelques mois plus tard, furent bombardées. Les troupes françaises furent décimées.

La guerre de 1939-45 contre l'Axe Berlin-Rome-Tokyo (car l'Italie et le Japon n'étaient pas dans le même camp qu'en 14-18) allait retrancher un total de 568 000 militaires et civils à la population française, dont plus de 509 000 après juin 1940.

Les soldats, aviateurs et marins français ne furent pas tous prisonniers ou démobilisés entre juin 1940 et juin 1944. Pendant qu'un gouvernement établi dans le sud de la France et dirigé par un maréchal français vétéran de la Première guerre mondiale persécutait les Juifs et tentait de liquider la démocratie française, environ 150 000 combattants français en uniformes, décidés à poursuivre la guerre aux côtés des Alliés, et ralliés à un gouvernement français en exil, moururent au combat contre les forces allemandes et italiennes au Tchad (1941), dans le Sahara (1942), en Italie (1943), puis en France (1944) et en Allemagne (1945), notamment. Pendant ce temps, des civils français, résistants de l'ombre, ont perdu la vie en tentant et en réussissant souvent à saboter la force d'occupation allemande en France.

Au final, plus de Français furent tués entre l'armistice pétainiste de juin 1940 et la capitulation allemande de mai 1945, que de Britanniques entre 1939 et 1945. Quand le premier ministre britannique plaidait auprès du président américain pour que la France figure au rang des nations victorieuses administratrices de l'après-guerre en 1945, il savait à quoi s'en tenir. Hélas, le général Charles De Gaulle, le chef de la France combattante, dut attendre jusqu'en juin 1944, quelques jours avant le débarquement de Normandie, pour que son gouvernement soit reconnu par celui des États-Unis comme le seul gouvernement français légitime. (Dans ses négociations avec l'allié américain, sa francophilie n'était pas la seule motivation de Winston Churchill. La Grande-Bretagne avait un immense empire colonial qu'il chérissait, et un soutien accordé par les États-Unis à la France n'allait pas sans un soutien de l'empire colonial français, qui fut la base de la contre-attaque alliée en Italie en 1943 puis un malheureux théâtre de la soi-disant Guerre froide après 1946.)

Des pays tels que l'Union soviétique, la Chine, la Pologne ou l'Indonésie ont cependant souffert beaucoup plus de la Deuxième guerre mondiale que la France et les pays anglophones. Il faut aussi se souvenir de leur martyre. Les populations d'Allemagne et du Japon ont fini par payer le haut prix démographique et matériel de l'agressive entreprise de conquêtes voulue par leurs dictatures. Le nombre total de personnes tuées lors de la Deuxième guerre mondiale est estimé à entre 70 et 85 millions. En six ans.

(L'Union soviétique, la Chine, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis s'attribuèrent en 1945 le statut de membres permanents du Conseil de sécurité de la nouvelle Organisation des Nations Unies. Les vainqueurs de la Deuxième guerre mondiale prirent donc le rôle de gardiens de la paix sur la planète. Pour le meilleur et pour le pire.)
 
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En fin de compte, les pertes humaines de la France lors des deux guerres mondiales ont dépassé celles combinées du Royaume-Uni, des États-Unis d’Amérique, de l’Australie, des dix provinces canadiennes, de l’Afrique du Sud et de la Nouvelle-Zélande lors de ces deux catastrophes. 

L'effectif amoindri des citoyens français et les difficultés économiques de la France qui furent les conséquences pour elle de deux guerres mondiales rapprochées dans le temps n’expliquent pas à eux seuls la baisse relative d’influence de la langue française par rapport à la langue anglaise au 20ième siècle, mais cela pourrait avoir pesé plus qu'il n'y paraît à première vue.

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recrutement en 14-18
Un Canada engagé dans la guerre

recrutement en 14-18
Parce que l'engagement du Canada dans la guerre en 1939-1945 en fut d'abord un sur la mer et dans les airs avant d'être un combat au sol, le nombre de militaires canadiens tués fut moins élevé que durant la guerre de 1914-1918. 

Certes, c'est le dévouement jusqu'au sacrifice suprême de tous ces hommes dont on se souvient avec raison chaque 11 novembre. Reste que le Canada n'a jamais payé aussi cher qu'en 1914-1918 son droit d'être une voix, si faible soit-elle, dans le concert des nations. Et nous le savons.

Soldats canadiens en France en 1916

Les Canadiens pourraient aussi se souvenir de leur contribution matérielle et financière à la victoire de nos Alliés européens, en particulier le Royaume-Uni, lors des deux guerres mondiales.

Avant d'en parler, rappelons l'existence du « Plan Marshall ». À partir de 1947, les États-Unis d'Amérique, à l'instigation du général George Marshall, alors le secrétaire d'État, accordèrent des prêts à long terme à taux d'intérêt bas ou nul à plusieurs pays en reconstruction, y compris les anciens ennemis allemands, italiens et japonais. Ce financement profita encore plus au Royaume-Uni et à la France, qui eurent la plus grande et la deuxième plus grande part. À juste titre, les contribuables américains peuvent être fiers de la façon originale dont leur gouvernement a ordonné l'après Deuxième guerre mondiale, en aidant plutôt qu'en faisant payer les adversaires de la veille, et en favorisant le système des Nations-Unies, alors que l'isolationnisme américain de l'entre-deux-guerres avait tellement déçu et handicapé l'Europe. (C'est aussi pourquoi le monde entier s'est désolé de la politique étrangère unilatérale des États-Unis au 21e siècle.) 

Or, les contribuables canadiens, dans ce cas-ci sans trop le savoir, ont fait un effort encore plus grand et plus tôt que leurs voisins du sud.

Durant la Première guerre mondiale, puis de nouveau durant la Deuxième, le gouvernement canadien a emprunté massivement, pour financer ses propres dépenses militaires, mais aussi pour payer à la place du Royaume-Uni, - rapidement fauché, on le comprend, - ses fournitures en vivres, textiles, munitions et matériel de guerre produits de notre côté de l'Atlantique. L'historien canadien Jack Granatstein, professeur émerite de l'Université de Toronto, a creusé le sujet et estimé à 3,47 milliards $C le montant d'aide reçue du Canada par le Royaume-Uni durant la Deuxième guerre mondiale. Lorsqu'on croise ses données avec celles de la Banque du Canada sur le taux de change des dollars canadiens en dollars américains dans les années 1940 et 1950, on découvre que l'aide canadienne au Royaume-Uni (3,12 milliards $US) dans les années 1940-45 est presque égale aux fonds reçus par ce pays par le plan Marshall après 1947 (3,3 milliards $US).

De la part d'un pays moins populeux. Il faut croire que les Canadiens ne laissent pas tomber ceux qu'ils considèrent comme leurs amis ou leurs frères.

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Dans un court texte à venir, nous parlerons un peu de la participation personnelle des Canadiens anglais et des Canadiens français à la guerre, en 1914-18 et en 1939-45.

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Le gros des nombres mentionnés dans le texte provient de tableaux de l'encyclopédie Wikipédia consultés en novembre 2018 (en français et en anglais) et qui concernent le nombre des personnes tuées ou blessées lors de la Première guerre mondiale. D'autres nombres proviennent des articles de cette encyclopédie sur la bataille de France et les pertes humaines de la Deuxième guerre mondiale.

Une recherche de données en ligne fait par l'auteur en 2009 avait produit des nombres légèrement différents. Le travail des historiens n'était apparemment pas fini. Le sera-t-il un jour?


Les données du dernier gros paragraphe sont extraites de

GRANATSTEIN, J. L.. How Britain’s weakness forced Canada into the arms of the United States. University of Toronto Press, 1989.
POWELL, James. Le dollar canadien: une perspective historique. Ottawa, Banque du Canada, 2005.

mardi 6 novembre 2018

Ma brève rencontre avec un homme d'action féru d'histoire


1937-2018
Bernard Landry venait, quelques jours plus tôt, de prononcer à l’Assemblée nationale le discours du budget du Québec pour l’année 1999-2000. Puis il avait accordé diverses entrevues à la presse. Maintenant, me disait-il au téléphone, il allait avoir un peu de temps pour parler des sujets que j’avais abordés dans un long article que j’avais signé avec Roger D’Amours et qui était paru dans la revue L’Action nationale de décembre 1998. Pour en parler, le vice-premier-ministre et ministre des Finances souhaitait me rencontrer.

Quand on enseigne l’économique dans un cégep, ce qui était ma condition, ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit une pareille invitation. Autant dire jamais.

À 36 ans, j’avais déjà signé de nombreuses lettres ouvertes au Soleil et au Devoir, et exercé ma plume dans divers journaux étudiants. Ce n’était pas la première fois que j’avais connaissance d’avoir parfois été lu, mais c’était la première fois que j’apprenais avoir été lu par quelqu’un d’aussi influent ou puissant qu’un ministre du gouvernement du Québec. J’avais déjà milité dans des partis politiques et lors du référendum de 1995, mais sûrement échappé à tous les écrans-radars. J’étais un simple enseignant qui réfléchit à voix haute.

L’invitation était aussi valable pour mon ami Roger, qui pour sa part avait peut-être déjà serré la main de Bernard Landry. Cependant, Roger, profitant de sa retraite qu’il avait prise deux ans plus tôt après trois décennies à enseigner la science politique, séjournait alors en Floride.
Je me rendis donc seul au rendez-vous hivernal de Bernard Landry, à son bureau du ministère des Finances, sur la place d’Armes à Québec.

Je suis arrivé sur place à l’heure fixée et on ne m’a pas fait attendre. J’ai passé deux heures à converser avec le ministre. Se trouvaient aussi dans le bureau deux hommes plus vieux que moi, dont l’un m’a été présenté comme le directeur de cabinet de M. Landry. Les deux collaborateurs du ministre m’ont serré la main, ont souri et n’ont plus ouvert la bouche. Tous deux ont parfois pris des notes.

Bien entendu, en tant que militant indépendantiste, Landry a pratiqué une écoute active, et inséré de temps en temps au milieu des propos de son interlocuteur une correction de détail, une brève considération philosophique ou une anecdote, avant de l’inviter à poursuivre son idée.  C’est à la fois instructif et flatteur, et judicieux. Rien dans ce que le ministre a dit ne m’a paru autrement que sensé et sincère, pour ne pas dire candide. Comme j’étais invité pour élaborer sur un texte et que je suis volubile, j’ai parlé tout mon saoul.

Tout de même, j’étais par moment mal à l’aise, hésitant à poser des questions au ministre, qui ne m’avait pas invité pour être interviewé, et j'étais hésitant à continuer de donner des réponses et à parler de « stratégie » dans le bureau d’un leader historique du Parti québécois, un compagnon d’armes de René Lévesque et de Jacques Parizeau. Par écrit et à distance, cela avait été plus facile. Au fil d’un article qui faisait une sévère critique de toute l’approche du Parti québécois depuis le référendum, Roger D'Amours et moi avions glissé des noms de responsables, notamment celui de Bernard Landry, mais ce dernier aurait pu nous ignorer aussi facilement que les autres, en supposant que l’un d’eux ait lu l’article, à part Landry.

À un moment donné, durant ma rencontre avec le ministre, je me souviens d’avoir dit quelque chose comme : « … je me sens comme un petit colonel qui vient discuter de ses théories avec le ministre de la Guerre conseillé par un vaste état-major expérimenté …». Je crois que la plupart des hommes politiques québécois à qui j’aurais servi une pareille comparaison n’auraient pas deviné ce à quoi je pouvais référer. D'autres auraient été suffoqués par la vanité de ma comparaison et auraient coupé court à l'entretien.

Bernard Landry ne s’est pas retenu de me lancer, en substance et sur un ton enjoué : « Vous savez, M. Croteau, De Gaulle n’était qu’un simple colonel quand il a exposé aux ministres de la Troisième république ses conceptions sur la guerre de mouvement… ». S’il y a des lignes Maginot dans la pensée stratégique péquiste, Bernard Landry ne s'est jamais laissé soupçonner de refuser d’écouter les critiques ou de considérer des options alternatives.

Quand j’ai reparlé de cette rencontre avec des amis qui l’ont connu de plus près, on m’a toujours dit, en substance : Tu peux être certain que tu n’as pas rencontré un comédien ou un sosie. C’était le vrai Bernard Landry.

Une seule autre fois par la suite, j’ai croisé notre homme. C’était peu années après qu’il ait cessé d’être chef du Parti québécois et député en 2005. C’était par un jour ensoleillé, au long du boulevard René-Lévesque, et Landry marchait d’un bon pas, sortant de donner un cours à l’UQAM. Je l’ai arrêté le temps qu’on se serre la main.

Je ne sais pas quel rendez-vous m’a ce jour-là empêché de me rappeler davantage à son souvenir de notre entretien de 1999 et de dire : « M. Landry, on peut, après avoir perdu une élection à 71 ans (au lieu de 66 comme vous), revenir au pouvoir six ans plus tard et le quitter à 81, et vous n’aurez pas 81 ans avant 2018, alors... »  

Et Bernard Landry, j’en rêve maintenant avec affection pour le bonhomme, m’aurait alors répondu : « Churchill ne faisait pas de politique au Québec, M. Croteau », sans une touche de dépit.

On se souviendra de Monsieur Landry comme d'un professeur d'optimisme.

mardi 30 octobre 2018

Un jour de référendum au Québec


- quatrième d'une série de capsules de mémoire de la Société nationale de l'Estrie -


Ce 30 octobre 1995, il y eut 2 308 360 personnes au Québec qui répondirent Oui à la question

Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12 juin 1995 ?

Le projet de loi en question avait été déposé pour première lecture devant l'Assemblée nationale le 6 décembre 1994 et il avait été distribué dans tous les foyers du Québec.



L'entente du 12 juin 1995 avait été signée par les chefs du Parti québécois (Jacques Parizeau), du Bloc québécois (Lucien Bouchard) et de l'Action démocratique du Québec (Mario Dumont) et précisait certains aspects du projet de loi. Cette entente avait elle aussi été distribuée par la poste dans tous les foyers du Québec.

2 362 648 personnes ayant la qualité d'électeur répondirent Non. La différence entre les deux camps fut donc de 54 288 voix.  En pourcentage: 49,42 % de OUI et 50,58 % de NON.

Le taux de participation atteignit un record: 93 % des personnes inscrites exercèrent leur droit de vote. C'était le quatrième référendum de l'histoire du Québec. Un premier avait eu lieu en 1942, un deuxième en 1980 et un troisième en 1992.