vendredi 21 septembre 2018

Des porte-couleurs de parti courtois, articulés et captivants


Mercredi, lors d’un débat tenu à l’Université de Sherbrooke grâce à la Société nationale de l'Estrie, le chef du Parti vert du Québec (PVQ), Alex Tyrrell, a lancé plusieurs flèches au Parti québécois (PQ) et à Québec solidaire (QS). Guillaume Rousseau, candidat du PQ dans le comté de Sherbrooke, et Kévin Côté, candidat de QS dans St-François, ont honorablement paré les tirs du candidat vert (dans le comté de Verdun à Montréal), et ont fait valoir sous un jour favorable plusieurs éléments de leurs programmes respectifs.

Des divergences de vues entre les trois partis sont apparus, et aussi plusieurs sensibilités communes des trois hommes. L’ensemble faisait généralement du bien à entendre. Les échanges furent trop riches pour que le présent récit très personnel ait d’autres ambitions que de rapporter l’atmosphère de la rencontre et la brise d’espérances qu’elle a fait souffler.

Le prétexte de la conférence était de connaître la position des partis concernant la répartition des compétences législatives et la place de la nation québécoise dans l’actuel cadre constitutionnel canadien. MM. Côté, Rousseau et Tyrrell ont répondu à deux questions des organisateurs du symposium et à une demi-douzaine de questions spontanées du public présent, surtout composé d’étudiants.

En attendant que l’assemblée constituante promise dans le programme de QS ait accouché de la constitution de la République du Québec, en attendant qu’un référendum promis par le PQ après quatre ans de préparatifs à venir produise une réponse favorable à l’indépendance du Québec, il paraissait pertinent pour la Société nationale de l’Estrie de tenter de savoir comment le prochain gouvernement pourra composer avec la réalité constitutionnelle canadienne, par exemple en matière de neutralité de l’État, de promotion du français comme langue officielle ou en matière de politiques d’immigration. On peut déplorer qu’aucun porte-parole du Parti libéral du Québec (PLQ) ou de la Coalition Avenir Québec (CAQ) n’ait pu se libérer pour répondre positivement à l’invitation au symposium lancée plusieurs fois par les organisateurs à partir du début d’août.

En l’absence d’un libéral et d’un caquiste, l’auditoire ne s’est pas ennuyé pour autant, le contexte d’une campagne électorale aidant.

Le péquiste Guillaume Rousseau et le solidariste Kévin Côté ont dû se rabattre sur le Parti vert du Québec en guise de parti fédéraliste. D’emblée, Alex Tyrrell a lui-même employé cette étiquette. Le candidat vert a fait comprendre qu’il ne se sent nullement mal à l’aise avec l’actuelle répartition constitutionnelle des pouvoirs entre Québec et Ottawa, et il s’est montré confiant de pouvoir amorcer la réalisation d’un programme de lutte contre les changements climatiques en faisant cause commune avec les écologistes du reste du Canada, voire du monde. Tout en se montrant sceptiques sur le réalisme des espérances d'Alex Tyrrell, les candidats Guillaume Rousseau et Kévin Côté se sont efforcés de montrer que leurs partis sont tous deux dans la logique d’une transition de l’économie hors de l’actuelle dépendance au pétrole, des volontés de transition que le chef du Parti vert avait jugé diluées par trop d’hésitations et d’incohérences. Le chef du Parti vert estime que les partis québécois souverainistes sont moins pressés de taxer lourdement les émissions de gaz à effet de serre que le gouvernement Trudeau, et qu’ils sous-estiment la part de pollution engendrée à l’étranger quand nous importons des marchandises, fabriquées en Chine par exemple.

Assurément, la présence des deux partis politiques issus du monde des affaires et favoris des sondages aurait changé la perspective des intervenants, mais peut-être aussi affecté la remarquable qualité des échanges à trois. Qui sait.

Puisqu’il est déjà arrivé au Parti québécois de former le gouvernement, tandis que Québec solidaire et le Parti vert du Québec ont des fiches vierges de toute responsabilité ministérielle, Guillaume Rousseau courait le risque, en participant à ce débat sans intervenant du Parti libéral du Québec, d’écoper d’un rôle ingrat. À un moment donné, le candidat du PQ a su retourner cette position potentiellement défavorable en une occasion de faire valoir que son parti, durant son dernier passage de 18 mois au pouvoir, en 2012-2014, a su fermer définitivement la porte à toute initiative gouvernementale du côté de l’énergie nucléaire et à toute relance de l’industrie de l’amiante. Le public en déduira peut-être que si le PQ n’était pas exactement aussi vert sous Pauline Marois qu’il s’engage maintenant à l’être sous Jean-François Lisée, au moins il s’est illustré comme un parti sérieux et capable, jugement favorable qui ne serait pas à dédaigner. Le PQ mise évidemment là-dessus.

Lors du débat, le positionnement très programmatique du candidat de Québec solidaire, Kévin Côté, ne fut pas sans faire penser à celui de Manon Massé lors du débat télévisé des chefs du jeudi 13 septembre. En ce sens, tant Québec solidaire que le Parti québécois peuvent s’estimer heureux d’avoir été si efficacement représentés dans ce débat à Sherbrooke par un Kévin Côté et un Guillaume Rousseau. Cela confirme aussi que la population estrienne se voit proposer par le PQ et QS des candidatures qui ne sont pas seulement des piquets pour récolter des voix perdues et augmenter le financement public par le directeur général des élections, mais des candidatures de militants de première classe.

Par les nombreux exemples qu’il a donnés des absurdités du régime constitutionnel canadien, et par des exemples de l’originalité québécoise en matière de politiques sociales, une originalité gênée par notre appartenance au Canada mais vivace, Guillaume Rousseau a fait un peu plus et s’est aussi livré devant l’auditoire à un exercice de pédagogie nationaliste qu’on espérerait pratiqué chaque fois qu’ils le peuvent par davantage de partisans souverainistes, au PQ comme à QS. Cette explication des raisons profondes de l’indépendantisme a trop souvent fait défaut depuis le référendum de 1995, et le mauvais exemple est venu de haut. S’opposer aux politiques de Jean Charest ou de Philippe Couillard et expliquer en quoi l’indépendance politique est nécessaire sont deux choses différentes.

Pour sa part, Alex Tyrrell, qui semble un homme de convictions autant que ses vis-à-vis, a déploré que certains groupes environnementaux dotés de grandes ressources financières soient intervenu dans le débat électoral d’une manière partisane et illégale (du moins dans le cadre juridique québécois…), en excluant le Parti vert du Québec des comparaisons de politiques environnementales qu’ils ont livrées à la presse. Par ailleurs, nous sommes tous forcés de constater qu'il existe des fédéralistes multiculturalistes dont la presse diffuse la pensée et les propos, entre deux annonces d’autos, et d’autres, « à gauche », où M. Tyrrell se voit, qui sont moins bien traités, quand ils ne sont pas ignorés.

Quand il arrivera au chef du Parti vert d’être moins souvent oublié, ce qui ne serait que justice et peut-être une mesure d’utilité publique, vue sa grande connaissance du dossier environnemental, on pourrait cependant lui suggérer de raffiner un peu ses catégorisations politiques lors de ses prises de position, et de ménager de possibles alliances locales à son parti ou pour sa cause ou pour lui-même, au-delà des batailles électorales.

Dans les propos d'Alex Tyrrell, la laïcité et la neutralité de l'État ont eu l'air de lubies propagées par des forces « de droite » et dont la promotion n’engendre que des drames humains.

Guillaume Rousseau lui a opposé que la laïcité n'est ni de droite ni de gauche et que la neutralité de l'État peut être d'un grand secours dans bien des situations concrètes, puis il a souligné la présence au Québec de femmes qui sont d’origine arabe et critiques de l’oppression religieuse sur les femmes, telle que Djemila Benhabib (auteure de Ma vie à contre-Coran). Les doyennes féministes du Québec ont vu ces nouvelles voix d'un meilleur oeil que le jeune chef du Parti vert les voient, lequel craint l'importation de peurs.

Kévin Côté a expliqué à l'assemblée que l’interculturalisme, par opposition au multiculturalisme des Trudeau, cherche la construction continuelle d’une culture commune, et ne se contente pas de la juxtaposition des multiples solitudes.

En fin de compte, tout le monde est sorti plus instruit de la rencontre.
Professeur de droit constitutionnel à la retraite, Pierre Patenaude a conclu le colloque en louant l’engagement politique des trois orateurs et leur contribution à l’évolution de la société.