dimanche 11 novembre 2018

Les Canadas volontaires au combat


Les militaires envoyés par le Canada pour livrer combat en Europe lors de la Première guerre mondiale aussi bien que lors de la Deuxième étaient volontaires, dans leur écrasante majorité. Cela peut sembler normal, et pourtant, dans les années 1960 et 1970, un groupe d'humoristes québécois jouait un sketch dont voici un court extrait:
L'ancien combattant canadien-français: Lors de la guerre de 39, je me suis battu...
L'interviewer: ....
L'ancien combattant canadien-français: ... mais j'ai été obligé d'y aller quand même.
Il y a comme un sentiment de culpabilité collective qui flottait vers 1970 et flotte encore dans l'air au Canada français lorsqu'on parle de l'effort de guerre masculin en 1914-1918 et en 1939-1945.

14-18: un exemple de propagande
Il semble que ce soit en partie parce qu'il y eut à Québec en mars et avril 1918 des émeutes contre les méthodes employées pour l'enregistrement obligatoire des hommes et l'incorporation dans les forces armées de ceux qui n'avaient pas l'excuse légitime d'être soutien de famille ou d'être médicalement incapables de servir. Ce processus était connu du peuple sous le nom de conscription.

À partir de 1914, le gouvernement fédéral canadien s'autorisait à dépenser plus que d'habitude et cela a sensiblement stimulé l'économie. Ce qui existait de chômage disparut et les bons salaires dans le secteur privé nuisaient à l'enrôlement volontaire dès 1915. Comme la consommation d'hommes sur le front était intense, le Parlement se décida à voter la conscription en juillet 1917.

De nouveau, durant la Deuxième guerre mondiale, pour la même raison, le plein emploi fut atteint. En avril 1942, le gouvernement d'Ottawa tint un référendum pour se libérer de promesses répétées en 1939 de ne pas recourir à la conscription pour regarnir l'effectif des Forces armées. L'électorat québécois répondit massivement non alors que le Canada anglais répondait oui. Le gouvernement fédéral attendit jusqu'en mars 1945 avant d'appliquer la conscription.

Pour autant, il serait injuste de laisser entendre que les Canadiens français ont été plus nombreux à déserter qu'à se porter volontaire, et surtout pour parler de la Deuxième guerre mondiale. Des estimations sérieuses d'historiens portent à croire que la participation des Canadiens français à la composition du contingent canadien en 1939-1945 (environ 20 % des effectifs) ne fut pas dramatiquement inférieure à leur nombre en proportion de l'ensemble de la population canadienne (25 %).

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Faire la guerre avec des armées de conscrits n'est pas sans risque, ne l'oublions pas. Les mutineries réprimées dans les armées, notamment dans l'armée française, durant la Première guerre mondiale, ont marqué les consciences. En 1914, il y a eu aussi parfois des fraternisations entre soldats alliés et soldats allemands, parfois installés dans leurs tranchées à portée de voix les uns des autres. Pourquoi fallait-il que des ouvriers des villes et des paysans dans les deux camps aillent se faire tuer pour leurs aristocrates et bourgeois respectifs?

L'étonnant, c'est plutôt que le recrutement et la discipline aient si remarquablement marché lors de la Grande guerre.

Il est ahurissant, par exemple, de penser qu'un grand nombre des hommes en provenance du Royaume-Uni et du Canada qui débarquèrent en France en 1914, et qu'on avait envoyé se battre au nom du roi, n'avaient pas le droit de vote, même parmi ceux qui avaient 21 ans ou plus.

La Première guerre mondiale sera l'occasion d'un élargissement du droit de vote au Canada, et pas seulement au profit des femmes.

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Quant à savoir pourquoi le recrutement de volontaires durant la guerre de 1914-1918 semble avoir moins bien fonctionné au Canada français qu'au Canada anglais, c'est une question complexe mais pas pour autant mystérieuse.

Certaines perspectives historiques sont utiles. On en trouve un aperçu dans un article du journaliste Christian Rioux paru dans Le Devoir en août 2014 (à l'occasion du centenaire du déclenchement de la Première guerre mondiale).

Quand vous y lirez les propos de l'historienne Béatrice Richard au sujet de la forte proportion de volontaires canadiens-anglais qui étaient natifs du Royaume-Uni, revenez jeter un coup d’œil sur l'affiche de recrutement ci-contre. Une image qui vaut mille mots.


Les États-Unis dans la guerre de 1914-1918

Sur le front, les Sammies (des États-Unis) ne sont arrivés qu'assez tard en renfort des Poilus (français) et des Tommies (britanniques), ce qui ne veut pas dire que le conflit en Europe n'a pas ému le public américain bien avant que le président Wilson persuade en avril 1917 le Congrès d'envoyer des troupes au secours du Royaume-Uni et de la France.

Durant la guerre, les commandes de blé de la France à l'étranger augmentèrent. Pour éviter que cela renchérisse le prix du blé sur le marché américain, il fallait comprimer la demande des ménages américains. Le gouvernement américain a tenté de passer la consigne aux consommateurs américains. (Est-ce que cela a eu un effet? L'auteur du présent texte ne saurait le dire.)

Les États-Unis auraient pu rester neutres. N'oublions pas que les Américains avec une ascendance allemande étaient nombreux, et plus nombreux que ceux qui avaient une ascendance française.

Mais des Français, dont le célèbre général Lafayette, avaient participé aux côtés des patriotes américains à la guerre d'indépendance des États-Unis (1775-1781). La propagande et la presse durant la Grande guerre s'employèrent à rappeler la longue amitié des peuples américain et français, comme sur l'affiche ci-contre, où la statue de la Liberté, offerte par la France aux États-Unis pour célébrer le centenaire de leur Déclaration d'indépendance (bien que la statue fut inaugurée en 1886), apparaît entre le soldat américain et le soldat français.

Pour le reste, il est vraisemblable que les Américains aient ressenti davantage de connivence avec les Britanniques (malgré deux guerres entre les États-Unis et l'Empire britannique) qu'avec les Allemands et les Austro-Hongrois.

Une question de langue commune, vous croyez? Faites vos propres recherches.

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La sélection d'illustrations du présent texte et du précédent ne fournit pas nécessairement un échantillon représentatif de tout ce qu'on peut trouver sur la toile en 2018 et qui fut utilisé durant la Première guerre mondiale.

1 commentaire:

  1. Mon père né en 1908 m'a longuement parlé du refus d'aller en guerre et des votes négatifs de la conscription. Son propre frère s'est caché a été approvisionné par mon père et dénoncé aux MP anglophones. Le mépris des anglais pour les francophones était notoire peu de temps après Riel, et les larges débats sur l'enseignement du français en Ontario en 1914 et surtout contre le catholicisme des canadiens français. L'obligation pour les pères de famille de laisser partir une grande partie de leurs enfants vers les usines de Montréal ou pire celles des USA faute d'argents pour acheter des nouvelles terres aux forestiers anglais ne les incitait pas à favoriser les départs vers un milieu de perdition religieuse. Les volontaires écrivant à leur famille décrivait l'armée comme un lieu de maltraitance et d'injustice (les simples soldats anglais mieux traités que les francophones) par des officiers unilingues anglais. Les unités canadiennes étaient intégrées dans des unités britanniques et non pour le Canada. Défendre l'Angleterre qui les spoliaient (prix des produits agricoles en faveur de l'Ouest canadien comme le blé mais laitiers à bas prix), défendre la France perçue comme anticatholique et trop laique, non merci. Leur gouvernement du Dominion par le soumis Borden contre leur héros Laurier n'intéressait personne. A la seconde guerre, la Crise était perçue comme de la faute des commerçants anglais. Les anglais sous-payaient les produits agricoles en vendant de la machinerie à des prix exhorbitants les obligeant à utiliser encore la force des chevaux. Dans les usines en ville, tous les contremaitres parlaient anglais et les anglais souvent immigrés récents vivaient dans de luxueuses maisons pendant que les ouvriers s'échinaient 10h par jour six jours par semaine avec de grands risques d'être blessés. Pour mon père, il n'y avait aucune raison d'aller se faire tuer pour ceux qui maltraitaient les canadiens français, qui avaient banni le français hors du Québec, et qui rendaient impossible la vie en français hors Qc et qui contrôlaient tout l'argent. Son épouse revenant de l'Ouest avait dû réapprendre sa langue maternelle. Ce n'était pas du courage qui manquait mais ils devaient se battre juste pour survivre à la campagne comme à la ville. Leurs héros politiques Camillien Houde et Duplessis étaient bafoués par des politiciens francophones inféodés aux anglais promettant qu'il n'y aurait pas de conscription mais en organisant une. Les lettres des volontaires et les avis de morts contredisaient la propagande victorieuse des journaux sous tutelle. Les influents curés prêchaient encore plus le catholicisme contre le protestantisme. Ces deux guerres leurs étaient aussi étrangères que les anglophones dans leurs belles maisons qu'ils ne rencontraient jamais sans intermédiaires francophones bilingues.

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