mardi 6 novembre 2018

Ma brève rencontre avec un homme d'action féru d'histoire


1937-2018
Bernard Landry venait, quelques jours plus tôt, de prononcer à l’Assemblée nationale le discours du budget du Québec pour l’année 1999-2000. Puis il avait accordé diverses entrevues à la presse. Maintenant, me disait-il au téléphone, il allait avoir un peu de temps pour parler des sujets que j’avais abordés dans un long article que j’avais signé avec Roger D’Amours et qui était paru dans la revue L’Action nationale de décembre 1998. Pour en parler, le vice-premier-ministre et ministre des Finances souhaitait me rencontrer.

Quand on enseigne l’économique dans un cégep, ce qui était ma condition, ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit une pareille invitation. Autant dire jamais.

À 36 ans, j’avais déjà signé de nombreuses lettres ouvertes au Soleil et au Devoir, et exercé ma plume dans divers journaux étudiants. Ce n’était pas la première fois que j’avais connaissance d’avoir parfois été lu, mais c’était la première fois que j’apprenais avoir été lu par quelqu’un d’aussi influent ou puissant qu’un ministre du gouvernement du Québec. J’avais déjà milité dans des partis politiques et lors du référendum de 1995, mais sûrement échappé à tous les écrans-radars. J’étais un simple enseignant qui réfléchit à voix haute.

L’invitation était aussi valable pour mon ami Roger, qui pour sa part avait peut-être déjà serré la main de Bernard Landry. Cependant, Roger, profitant de sa retraite qu’il avait prise deux ans plus tôt après trois décennies à enseigner la science politique, séjournait alors en Floride.
Je me rendis donc seul au rendez-vous hivernal de Bernard Landry, à son bureau du ministère des Finances, sur la place d’Armes à Québec.

Je suis arrivé sur place à l’heure fixée et on ne m’a pas fait attendre. J’ai passé deux heures à converser avec le ministre. Se trouvaient aussi dans le bureau deux hommes plus vieux que moi, dont l’un m’a été présenté comme le directeur de cabinet de M. Landry. Les deux collaborateurs du ministre m’ont serré la main, ont souri et n’ont plus ouvert la bouche. Tous deux ont parfois pris des notes.

Bien entendu, en tant que militant indépendantiste, Landry a pratiqué une écoute active, et inséré de temps en temps au milieu des propos de son interlocuteur une correction de détail, une brève considération philosophique ou une anecdote, avant de l’inviter à poursuivre son idée.  C’est à la fois instructif et flatteur, et judicieux. Rien dans ce que le ministre a dit ne m’a paru autrement que sensé et sincère, pour ne pas dire candide. Comme j’étais invité pour élaborer sur un texte et que je suis volubile, j’ai parlé tout mon saoul.

Tout de même, j’étais par moment mal à l’aise, hésitant à poser des questions au ministre, qui ne m’avait pas invité pour être interviewé, et j'étais hésitant à continuer de donner des réponses et à parler de « stratégie » dans le bureau d’un leader historique du Parti québécois, un compagnon d’armes de René Lévesque et de Jacques Parizeau. Par écrit et à distance, cela avait été plus facile. Au fil d’un article qui faisait une sévère critique de toute l’approche du Parti québécois depuis le référendum, Roger D'Amours et moi avions glissé des noms de responsables, notamment celui de Bernard Landry, mais ce dernier aurait pu nous ignorer aussi facilement que les autres, en supposant que l’un d’eux ait lu l’article, à part Landry.

À un moment donné, durant ma rencontre avec le ministre, je me souviens d’avoir dit quelque chose comme : « … je me sens comme un petit colonel qui vient discuter de ses théories avec le ministre de la Guerre conseillé par un vaste état-major expérimenté …». Je crois que la plupart des hommes politiques québécois à qui j’aurais servi une pareille comparaison n’auraient pas deviné ce à quoi je pouvais référer. D'autres auraient été suffoqués par la vanité de ma comparaison et auraient coupé court à l'entretien.

Bernard Landry ne s’est pas retenu de me lancer, en substance et sur un ton enjoué : « Vous savez, M. Croteau, De Gaulle n’était qu’un simple colonel quand il a exposé aux ministres de la Troisième république ses conceptions sur la guerre de mouvement… ». S’il y a des lignes Maginot dans la pensée stratégique péquiste, Bernard Landry ne s'est jamais laissé soupçonner de refuser d’écouter les critiques ou de considérer des options alternatives.

Quand j’ai reparlé de cette rencontre avec des amis qui l’ont connu de plus près, on m’a toujours dit, en substance : Tu peux être certain que tu n’as pas rencontré un comédien ou un sosie. C’était le vrai Bernard Landry.

Une seule autre fois par la suite, j’ai croisé notre homme. C’était peu années après qu’il ait cessé d’être chef du Parti québécois et député en 2005. C’était par un jour ensoleillé, au long du boulevard René-Lévesque, et Landry marchait d’un bon pas, sortant de donner un cours à l’UQAM. Je l’ai arrêté le temps qu’on se serre la main.

Je ne sais pas quel rendez-vous m’a ce jour-là empêché de me rappeler davantage à son souvenir de notre entretien de 1999 et de dire : « M. Landry, on peut, après avoir perdu une élection à 71 ans (au lieu de 66 comme vous), revenir au pouvoir six ans plus tard et le quitter à 81, et vous n’aurez pas 81 ans avant 2018, alors... »  

Et Bernard Landry, j’en rêve maintenant avec affection pour le bonhomme, m’aurait alors répondu : « Churchill ne faisait pas de politique au Québec, M. Croteau », sans une touche de dépit.

On se souviendra de Monsieur Landry comme d'un professeur d'optimisme.

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